Culture Gay

Le « gay » au cinéma dans les années 30, 40 et 50

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Inutile de faire un cours d’Histoire et bien évidemment de religion pour expliquer à quel point le sujet de l’homosexualité était tabou dans notre société. C’est pourtant avec le cinéma que nous pouvons le mieux apprécier l’évolution et les divers courants de          « tolérance ». En effet, ce n’est absolument pas un cliché de constater qu’il y a toujours eu plus d’homosexuels dans le secteur artistique. Attention, je ne pense absolument pas qu’il s’agisse d’une « sensibilité » différente (ce qui serait de l’homophobie à l’envers) mais juste l’expression un peu désespérée d’une minorité silencieuse (cachée) qui n’a trouvé que ce moyen pour exprimer son ressenti, son sentiment d’exclusion, sa différence… et l’Art représente cette ouverture. Donc, entrons vite dans le vif du sujet (et surtout notez mon ton un peu persifleur, merci de ne surtout pas prendre tout ce que j’écris au premier degré) !

A l’heure où Hollywood prônait les vraies valeurs familiales, soit un papa, une maman, un garçon et une fille, des grands-parents et un chien, l’hypocrisie régnait en maître. Premier exemple : Cole Porter, l’illustre compositeur homosexuel qui marié avec            « la plus belle femme du monde » plus âgée que lui, a rapidement fait son coming-out (dès 1925). Dans le film « Nuit et jour » sorti en 1946, où Cary Grant joue son rôle, cette partie pourtant essentielle de la vie de Cole Porter est totalement passée sous silence. Un oubli sans doute… Le standard de jazz, « Night and Day » composé pour un de ses amants devient une ode à la féminité… ce qui est tout de même assez comique, connaissant la provocation érigée en véritable art de vivre chez ce génie de la comédie musicale, qui a du bien rire en voyant en plus un Cary Grant hétérosexuel (l’acteur adorant jouer « en vrai » sur sa bi-sexualité jamais ouvertement reconnue).

L’année suivante, en 1947, sort un film qui fera date dans l’histoire du cinéma puisque c’est la première fois que l’on met en scène un crime « antisémite » et que le scénario s’attaque à l’armée, alors que la seconde guerre mondiale vient à peine de se terminer, et que les « héros » se dirigent tout droit vers la guerre de Corée… Pourquoi, est-ce que j’en parle ici ? Vous me direz, il est toujours intéressant de comparer une minorité avec une autre. Dans ce « Feux croisés », Robert Young enquête sur un meurtre d’un soldat à qui l’on a reproché une seule chose, se nommer Levine. Les suspects sont Robert Mitchum, Robert Ryan, de grands noms de l’époque… Les critiques adorent ce drame « courageux » qui recevra même un prix à Cannes. Mais voilà, ce scénario est tiré d’un roman écrit par un ex-marine, Richard Brooks, qui deviendra lui-aussi un des grands metteurs en scène de Hollywood. Le sujet du livre n’est pas l’antisémitisme, mais l’homophobie. Et oui, c’est un soldat gay qui se fait tuer ! L’acteur Robert Ryan (qui d’ailleurs joue le méchant) souhaitait adapter sur scène ce roman, il n’a jamais trouvé les capitaux nécessaires. Quant au film, le fameux Code Hays, (que Hitchcock savait si bien détourner) mentionnait que l’homosexualité étant une perversion, il était interdit d’en parler à l’écran !

Le même Richard Brooks adaptera onze ans plus tard, en 1958, la pièce de théâtre de l’homosexuel notoire Tenessee Williams « la chatte sur un toit brûlant » et édulcorera ce qui fait tout l’intérêt et la complexité du sujet, à savoir la bi-sexualité du héros « sportif » (Paul Newman, ambigu heureusement…) dont les relations « troubles » avec son meilleur ami provoquent la jalousie de son épouse (admirable Elizabeth Taylor), le suicide du meilleur ami, et la punition de Paul Newman qui depuis ne veut plus coucher avec sa femme… Si dans la pièce, il est évident que les relations entre les deux hommes sont bien plus proches d’un amour partagé que de l’amitié, dans le film, ces soupçons (à peine ébauchés) sont rejetés avec horreur… malsain ! Il ne faut pas pousser tout de même, Richard Brooks le dira lui-même, qui va croire que Paul Newman est homo ?

Dans ses mémoires, Vincente Minelli (un des époux de Judy Garland et père de leur fille Liza Minelli), réalisateur de célèbres comédies musicales, évoque ses mariages, mais aucune de ses nombreuses liaisons homosexuelles. Mais l’ambiguïté est présente dans plusieurs de ses films notamment une excellente comédie sentimentale : la femme modèle, sortie en 1957 où un coup de foudre entre un journaliste sportif macho (Gregory Peck) et une styliste raffinée (Lauren Bacall) débouche sur un mariage où les deux tourtereaux doivent faire cohabiter leur monde : le sport et notamment la boxe pour le premier, et la mode et le monde du « musical » à Broadway pour la seconde. Gregory Peck est ouvertement homophobe dans ce film… et va se faire moucher deux fois avec intelligence par Jack Cole (un chorégraphe de génie, une de ses très rares apparitions au cinéma), ici qui fait une démonstration de son talent et alors « sauve le monde » , battant les brutes à leur propre jeu. Minelli joue alors sur les apparences puisque cet homme n’est pas considéré comme gay : ouf, l’honneur est sauf !

Pendant ce temps, l’Europe est bien plus évoluée que Hollywood… Et oui, n’oublions pas que la comédie musicale « Victor-Victoria » dont le sujet est l’identité sexuelle… est un remake d’un charmant film allemand de 1933 ! L’homosexualité est souvent traitée de façon légère et comique. Nous ne sommes pas encore au stade du fameux copain         « gay », mais plutôt, le pique-assiette ami de toutes les comtesses et autres riches héritières de la Haute-Société, maniéré, futile, servile, amateur de perfides mots d’esprit, soit celui qui divertit, mais dont on aime aussi se moquer qui évolue sur tous les écrans du monde. Le regard est mitigé : méprisant et indulgent tout à la fois… mais notamment dans le milieu parisien, il est tolérant. Le parfait exemple est celui du dramaturge Jean Cocteau, mondain, ouvertement homosexuel, dont la liaison assumée avec Jean Marais dans les années 40 ne provoquera jamais le moindre remous. Cela n’empêchera pas l’acteur de représenter l’archétype du héros de cape et d’épée, beau, athlétique, viril, talentueux et crédible, dont s’enticheront bon nombres de françaises énamourées. Il n’a jamais fait de coming-out tout simplement parce qu’il n’a jamais caché son homosexualité. Et il faut avouer que tout le monde s’en fichait !

Plus ambigu, Marcel Carné, le plus célèbre de nos cinéastes d’avant-guerre, dont « les enfants du paradis » est considéré comme le plus grand chef d’oeuvre français de tous les temps, est un homosexuel qui a fait un discret coming-out dans les années 70 (parce qu’à cette époque tout le monde s’en fichait également). Son association, car on ne peut pas parler d’amitié, est totalement et seulement artistique. Il n’a mis en scène aucune histoire d’amour homosexuelle. Pourtant, ce thème est sous-jacent dans la plupart de ses films. Dans « l’air de Paris », que dire de la relation « compliquée » entre Jean Gabin et Roland Lesaffre (compagnon de Carné et enterré dans le même caveau au cimetierre Saint-Vincent) ? Que dire du personnage d’homme entretenu de Laurent Terzieff dans « les tricheurs » ? Mais comme le dira lui-même Marcel Carné, il ne se voyait pas mettre en scène une relation sentimentale principale entre deux hommes dans un film dans les années 30, 40 et 50.

C’est un chef d’oeuvre du cinéma français qui pour la première fois va entériner cette image plus tolérante qu’à Hollywood. L’homosexuel n’est pas comme les autres (là encore, il ne faut pas pousser… on évite prudemment le sujet de la perversion) mais nous devons le comprendre, accepter la différence (là il y a une vraie subtilité qu’il faut saisir). Dans « quai des orfèvres », Clouzot (adaptant une nouvelle fois le romancier belge Steeman) offre à Louis Jouvet son meilleur rôle, celui d’un policier (père d’un enfant métis…) qui enquête sur un meurtre et soupçonne rapidement un couple, Suzy Delair et Bernard Blier. Chacun des deux pense d’ailleurs que c’est l’autre le coupable. Or, par amour, une femme se dénonce, amoureuse de Suzy Delair. D’une part, elle est jouée avec une dignité tranquille et « normale » par une Simone Renant très inspirée ici, mais d’autre part, le regard plein d’empathie, de compréhension et même de tendresse de Jouvet pour cette femme « différente » est une vraie leçon de vie, avec en prime une des plus grandes répliques du cinéma français, il lui lance : « Vous êtes un type dans mon genre, vous n’avez pas de chance avec les femmes ! ».

Revenons à Hollywood… Si les acteurs « gays » dissimulent aux yeux de tous qu’ils le sont (secrets de polichinelle mais que l’on cache tout de même avec la complicité de la presse), les cinéastes gays, sont recherchés et adorés notamment par des actrices (ravies peut-être de ne pas être obligées de passer par la case « canapé »), mais surtout parce qu’ils ont la réputation d’être « leur meilleur ami ». En tête, le très brillant George Cukor, spécialiste de la comédie raffinée et élégante, plébiscité par Vivien Leigh et Olivia de Havilland, pour sa participation à « Autant en emporte le vent » (beaucoup moins par Clark Gable qui le fit éjecter manu militari), ami intime de Katharine Hepburn, qui réalisa notamment un film passionnant, « femmes » en 1939 où la trentaine d’interprètes ne sont que des actrices (pas un homme dans cette histoire étonnante sur l’infidélité, où le mari tient en fait le premier rôle même s’il n’est jamais à l’écran), regard d’un homosexuel, incisif, cruel et tendre sur les relations sentimentales, l’amitié… et les femmes ! Un de ses premiers films, échec financier total à sa sortie, s’intitule Sylvia Scarlett. Cela se passe en France… Nous y voyons Katharine Hepburn se déguiser en homme, amoureuse d’un aventurier Cary Grant. Outre l’ambiguité sexuelle, ce qui        « dérange » dans cette intrigue, c’est que Cary Grant préfère de beaucoup Katharine Hepburn lorsqu’elle est en homme… Une fin peu crédible tente de rattraper cette évidence, d’où le malaise quelque peu choqué des spectateurs de l’époque.

On ne peut conclure cette première partie sans parler du cinéma d’Hitchcock. Deux films d’avant les années 60 sont intéressants. D’abord, la corde, où les deux assassins ont une relation implicitement (mais totalement assumée par le réalisateur dans ses entretiens avec Truffaut) homosexuelle. Ce sont donc deux jeunes « méchants » qui n’assassinent que pour montrer à leur professeur (James Stewart) qu’ils en sont capables… mouvance de sentiments entre admiration, haine et mépris. Ce qui est à retenir (à part le fait que pour une fois que nous voyons à l ‘écran des gays, ce sont deux salopards) c’est qu’ils ont eux-mêmes une relation ambiguë de dominant/dominé, d’influence malsaine, une sorte d’amour aussi destructeur que manipulateur. Le second film à retenir, c’est « l’inconnu du Nord-Express », où l’on voit le fameux thème cher au polar, l’échange de meurtres entre deux inconnus pour la première fois à l’écran. Il est évident lorsque l’on revoit le film (et là encore ce fut assumé par Hitchcock) que le «psychopathe » du film éprouve une attirance « hors de la normalité » pour le pauvre type qu’il veut forcer à tuer pour lui… pauvre type joué par Farley Granger, (le méchant dominant de « la corde »!), acteur qui fit plus tard dans les années 70, son         coming-out…

Dans le prochain épisode, vous verrez que l’avènement de la libération sexuelle en 1959, 1960… va entraîner un autre regard sur les mœurs : naissance du cinéma         « gay » : Italie, Allemagne, France, Angleterre, Etats-Unis. On parlera du tournage de Spartacus de Kubrick (1960), où l’on voit une scène ambiguë entre deux hommes…

Dans un autre prochain épisode, vous aurez droit aux acteurs « gays » qui jouent des   « gays », au acteurs bi-sexuels qui faisaient semblant d’être hétéro, aux acteurs gays qui faisaient semblant d’être hétéro, aux acteurs gays qui refusent d’être gays, aux acteurs hétéro qui jouent des gays, aux acteurs gays dont le coming-out a sonné le glas de leur carrière !

Marnie

10 réflexions au sujet de “Le « gay » au cinéma dans les années 30, 40 et 50”

  1. Les films, dont tu parles ont « bercés » ma jeunesse,(vu, et revu avec le même plaisir, plus tard) et dans une famille très stricte, certains mots étaient tabous et ne nécessitaient aucune explication. Jusqu’ au jour où, je me suis rendue compte qu’il existait une différence entre les gens, et trop souvent mal vue. Pourquoi? Chacun est ce qu’il est, et découvrir la vraie personnalité de ces acteurs, ne m’a en aucun cas choquée; bien au contraire, j’ai encore plus d’admiration et de respect pour ceux qui assument pleinement leur homosexualité, et ce envers et contre tout! Un profond respect pour toutes ces célébrités qui osent se dévoiler à leur public! « l’habit ne fait pas le moine »
    merci pour cet article!!!!!

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  2. Merci à vous d’avoir bien évidemment compris que l’idée n’était pas de dire : ohhh celui-ci était gay hein ! mais de montrer à quel point il était difficile d’évoquer l’homosexualité au cinéma avant les années 60… les moyens détournés, l’image du gay etc etc… Le compagnon de Marcel Carné (alors qu’il est enterré avec lui) avait précisé qu’il s’était marié plusieurs fois et qu’il préférait qu’on parle d’homosensualité et non homosexualité… cela en dit beaucoup !

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  3. Merci pour cet article intéressant … J’ai rêvé ou existe-t-il un film français des années … 50, ??? où les deux personnages se noient à la fin , un des deux est attiré par l’autre , et en chahutant , l’un tombe à l’eau et l’autre , on ne sait pas trop si il essaie de le sauver ou de le noyer , mais ils se noient bel et bien ??? ça vous dit quelque chose ??? ça m’agace de ne pas me souvenir ….

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      1. Je pense que le film dont vous parlez est « Plein Soleil » la version Delon/Ronet… d’après mes souvenirs cette « amitié » mêlée d’envie et d’homosexualité à peine dissimulée se termine par la noyade de l’un aidée par l’autre !

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      2. Merci quand même Marniehitch, mais non , je connais ce superbe film « Plein Soleil » , et effectivement il y a une dimension ambigüe dans le personnage de Delon qui veut prendre la place de l’autre …. Mais je pense à un film , peut être un court métrage , sans doute en noir et blanc , beaucoup moins connu , et je crains peut être pas restauré avec le temps qui passe …C’est au bord d’une rivière , pas de la mer , et l’un des deux serre volontairement l’autre , enfin dans mon souvenir , et les deux se noient …

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